Site icon Un jour de plus à Paris

Le voyage extraordinaire de la Dame d’Auxerre (musée du Louvre)

Le Louvre regorge de trésors. Outre ses classiques mondialement connus, des centaines de pièces méritent d’être découvertes pour leur histoire, témoins d’arts ancestraux ou de civilisations oubliées. Parmi celles-ci, la Dame d’Auxerre en est l’un des plus extraordinaires exemples. Une suite de hasards, oublis et coïncidences qui permettent aujourd’hui au musée de présenter une oeuvre unique datant du 7e siècle avant J.C, et qui constitue l’un des fleurons du département des Antiquités grecques.

L’histoire de cette Dame d’Auxerre débute au 19e siècle, en 1895 exactement, lorsque la veuve d’un dénommé Bourgoin décide de se séparer des objets d’arts que collectionnait son mari dans une salle des ventes près d’Auxerre. Louis Bourgoin, décédé quelques mois auparavant, était lui-même sculpteur sur bois et grand amateur d’art, et aurait tenu à paris quelques années une boutique d’antiquités avant de s’établir à Saint-Bris-le-Vineux, à 10km d’Auxerre. Quelle est l’histoire de cette statue avant cette date et comment monsieur Bourgoin l’aurait acquise ? Nous n’en savons rien ! Une ignorance qui laisse d’ailleurs la porte ouverte aujourd’hui encore aux historiens pour un tas d’hypothèses nouvelles… Mais nous en resterons ici à ce que l’on sait.

Sont vendus par madame Bourgoin 12 statuettes, 2 tableaux, 1 peinture, 12 tableaux-médaillons, ainsi qu’une « statue grecque ». Cette dernière, considérée comme une bizarrerie grossièrement sculptée, n’attire pas les foules. Les traits de la silhouette exagérés et le répertoire oriental ne sont pas du tout dans les goûts de l’époque, et aucun spécialiste ne semble avoir été assez curieux pour approfondir les recherches à son sujet. C’est donc le crieur du commissaire-priseur, Louis David, qui est également concierge au théâtre municipal d’Auxerre, qui achète l’oeuvre pour 1 franc. Il souhaite l’utiliser comme décor pour le prochain opéra-comique que propose le théâtre, Galathée de Victor Massé.

La représentation achevée, la statue déménage dans les réserves du théâtre, où elle restera de longs mois. Elle fut même, parait-il, utilisée comme porte-chapeaux. Louis David ira ensuite la déposer dans une valise, et dans l’anonymat, à l’accueil du musée de la ville. Probablement plus pour s’en débarrasser que dans un élan de générosité artistique !

Mais, encore une fois, et alors que l’oeuvre avait enfin atterri dans un musée, que l’on suppose être le plus apte pour reconnaitre une oeuvre-d’art, elle fut oubliée dans les réserves. Lorsqu’elle fut (re)découverte dix ans plus tard, elle ne figurait même pas dans les registres d’acquisitions du musée.

Cette (re)découverte, nous la devons à un archéologue, conservateur au musée du Louvre, Maxime Collignon. En visite au musée d’Auxerre, son oeil s’arrête sur la sculpture. Le directeur du musée accepte de l’échanger un paysage du peintre Henri Joseph Harpignies (1819-1916), très réputé à l’époque. La valeur de la dame d’Auxerre est aujourd’hui…. inestimable.

Arrivée à Paris, on découvre que cette statue a été sculptée il y a environ 2600 ans en Crête. Considérée très rapidement comme la plus parfaite expression du style « Dédalique« , d’après Dédale, terme apparu au 19e siècle pour qualifier les créations plastiques du VIIe siècle av. J.-C, elle témoigne de l’intense activité artistique qui se manifesta à cette époque dans les régions orientales du bassin méditerranéen. Les répertoires décoratifs et les techniques venus du Proche-Orient et d’Egypte furent largement diffusés et repris par les artisans grecs qui mêlèrent ces modèles à leurs propres traditions.

Un style qui s’est exprimé à travers la pierre, l’argile, l’ivoire ou encore les bijoux, reconnaissable notamment grâce aux coiffures, influencées par la statuaire égyptienne.

Enfin, grâce à l’analyse de traces de pigments dans la pierre (invisibles à l’oeil nu), nous savons que cette Dame d’Auxerre était à l’origine peinte de couleurs vives et contrastées (bleu profond, rouge vif, jaune d’or). Un style que l’on qualifierait aujourd’hui de très « kitsch », bien loin des oeuvres idéalisées en marbre blanc que nous associons traditionnellement à l’art Grec !

Reconstitution. Université de Cambridge.

La Dame d’Auxerre, un trésor méconnu à découvrir dans le département des Antiquités grecques du musée du Louvre, autant pour son art que pour son histoire !

Quitter la version mobile