Plus grand cimetière parisien du Moyen-Âge, le cimetière des Innocents a été pendant 1000 ans la dernière demeure de millions d’âmes. Un lieu à l’histoire étonnante, qui a marqué de son empreinte le développement de la rive droite parisienne. S’il n’en reste aujourd’hui qu’un seul vestige, la fontaine des Innocents, les traces invisibles sont, elles, multiples.
Aux origines du cimetière
L’endroit où se trouvent aujourd’hui les Halles, plus précisément la place Joachim du Bellay et ses alentours, avait été choisi dès le 7e siècle par les parisiens comme lieu d’inhumation. Plusieurs raisons à cela. La loi romaine interdisait les cimetières à l’intérieur de la ville, et les traditions étaient encore vives dans la population plusieurs siècles après la chute de l’Empire. Cette zone, composée d’une succession de petits champs marécageux, était alors située en bordure directe de la ville. Elle longeait en outre l’une des plus importantes, et plus vieille, voies parisiennes, la rue Saint-Denis. Très vite, les sépultures se développèrent, dans un premier temps de manière plutôt anarchique. Pas de clôture, ni d’organisation précise.
C’est Philippe-Auguste, à la fin du 12e siècle, qui donna au quartier un formidable coup d’accélérateur. Le cimetière fut clos par un mur haut de trois mètres et il fut baptisé les Innocents, nom tiré d’une église rue Saint-Denis dédiée au Saint-Innocents massacrés par Hérode à la naissance du Christ. Le rempart intégrait alors définitivement le cimetière dans la ville. Pendant 500 ans, les parisiens allaient en subir tous les inconvénients…
À noter qu’au début du Moyen-Âge, les marchands avaient l’habitude de s’installer aux abords (et même à l’intérieur…) des cimetières pour effectuer leurs transactions. Par respect des morts et crainte des divinités, ces lieux étaient réputés exempts d’escroquerie… C’est ainsi que le quartier devint très rapidement une importante zone commerçante, devenant avec les Halles de Philippe-Auguste le plus grand marché médiéval d’occident. Les origines de nos quartiers sont parfois surprenantes !
Le cimetière des Innocents
L’étroitesse des lieux fit rapidement renoncer à la tombe individuelle, remplacée par la fosse commune. Dans de vastes trous d’environ 5 mètres de large sur 10 mètres de profondeur étaient jetés plus de mille cadavres par an. La fosse restait à ciel ouvert jusqu’à être pleine, après quoi on la recouvrait et une autre était creusée à côté. Mais cela ne suffisait plus pour répondre au nombre important de décès. En 1320, il fut décidé de créer un charnier, cloître qui courait sur les quatre côtés de l’enclos, surmonté par un comble. Quand une fosse était remplie, on transférait les ossements dans les combles pour la remplir à nouveau. Et ainsi de suite…
Ce charnier est connu pour avoir accueilli la première danse macabre de l’histoire, vaste fresque qui courait le long des murs et mettait en scène la mort à travers peintures et proverbes.

Le cimetière des Innocents devint dès le 16e siècle le lieu le plus infect de Paris. Ce qui n’empêchait pas drapiers, libraires, écrivains publics ou encore prostituées d’y proposer leurs services. On trouvait également un réclusoir, tradition la plus étonnante du Moyen-Âge, ainsi qu’un prêchoir. La vie religieuse y était en effet intense : inhumations, messes, services funèbres, processions… Les infirmes, les aveugles et les mendiants étaient partout présents, implorant la pitié et la générosité des fidèles. Quant aux animaux, ils y pénétraient sans peine et il arrivait que les chiens et les oiseaux se nourrissent des corps ensevelis.
Les questions d’hygiène et de salubrité commencèrent à se poser au début du 17e siècle. Malgré les nombreux rapports en faveur de la fermeture du cimetière, celui-ci continua d’accueillir des milliers de morts chaque mois jusqu’à la fin du 18e siècle.
Le 30 mai 1780, une fosse commune s’écroula, remplissant les caves mitoyennes de cadavres en décomposition. Devant le risque d’asphyxie générale, il fut – enfin – décidé de fermer le cimetière et de combler toutes les fosses restantes. Il avait dans son histoire servi à 40 générations de parisiens, et absorbé plus de 2 millions de cadavres.
Les ossements furent transportés en 1786 dans une partie des carrières souterraines de Paris, devenues aujourd’hui les Catacombes. Le dernier vestige visible de ce cimetière est la fontaine des Innocents, située place Joachim du Bellay, ainsi que les arcades (qui soutenaient autrefois un charnier) au nº8 de la rue de la Ferronnerie. L’histoire de ce cimetière, et du quartier, peut être découverte lors d’une visite guidée des Halles.


