Histoire

Les recluses, ces femmes du Moyen-Âge qui décidaient de vivre emmurées

Au Moyen-Âge, il n’était pas rare qu’une ville d’Occident ait son réclusoir (ou récluserie).  Une minuscule cellule avec fenêtres, mais sans porte, dans lesquelles s’enfermaient volontairement des individus jusqu’à la fin de leur vie. Mais il ne faut voir aucune punition, ni châtiment, dans cette réclusion. Ces personnes, souvent issues du peuple, demandaient elles mêmes à être emmurées. Et lorsqu’un reclus mourrait, les candidats à sa succession étaient nombreux. Un phénomène qui a perduré pendant des siècles, devenu avec le temps quasiment exclusivement féminin. Méconnu et oublié, il raconte l’histoire de la ville et du développement urbain.

Apparu aux alentours du 10e siècle, le reclus ne faisait partie d’aucune communauté. C’était un membre de la société civile qui décidait, avec l’approbation des autorités religieuses, de consacrer le reste de sa vie à la prière dans un lieu clos. Membre à part entière de la Cité, il dépendait entièrement de ses habitants, qui le nourrissaient. En échange, ses prières quotidiennes allaient à la sauvegarde de la ville.

Les traces de ces reclus sont rares. De par la nature même de l’exercice, solitaire et muet. Et notre manière d’appréhender aujourd’hui ce mode de vie, que l’on ne peut imaginer librement consenti, reléguant ce phénomène dans les bas fonds de l’histoire parmi les excentricités médiévales. Et pourtant, très rares sont les cas de condamnations parmi les reclus, même s’ils ont existé. Ouvert à tous, il a accueilli les êtres les plus fragiles et les plus démunis d’une société dont l’organisation économique et sociale était cadenassée. Ce qui pourrait d’ailleurs expliquer sa féminisation dans le temps.

Origines des reclus

L’origine des réclusoirs et de leurs occupants est donc difficile à définir, mais viendrait des premiers ermites de la chrétienté, qui décidèrent de se retirer du monde pour résister à la tentation. L’un des plus célèbres est Saint Antoine le Grand (à ne pas confondre avec Saint Antoine de Padoue) qui a vécu près de 15 ans seul dans le désert (Ermite vient du latin eremita, lui-même issu du grec ancien erêmítês, dérivé du mot « désert »), et se serait même retiré quelques temps à l’intérieur d’un tombeau égyptien…

Salvador Dali, la Tentation de Saint-Antoine

Rejoint par des fidèles qui voulaient profiter de son enseignement, il fonda par la suite l’une des premières communautés religieuses. Les moines, séparés du monde, avaient un groupe sur lequel se reposer. L’ermite, lui, est seul, et rares sont les caractères qui arrivent à affronter cette solitude sans sombrer dans la folie.

A partir du XIIIe siècle, le monachisme commence à s’implanter en ville, entité populeuse nouvelle, fruit de l’essor agricole qui permet la commercialisation des surplus et favorise les échanges internationaux. À côté des ordres mendiants apparait une nouvelle forme d’érémitisme : les reclus. Plus question, comme les ermites, de vivre en auto-suffisance de chasse et de cueillette. Le reclus est totalement dépendant de son environnement, et la grande ville, qui attire marchands, voyageurs, et pèlerins, lui permet la survivance par l’aumône. À noter qu’au 12e siècle, Paris était la ville la plus peuplée de l’occident médiéval, avec environ 250.000 habitants.

L’église ne pouvait ignorer ce phénomène, et se devait de le contrôler. Elle avait appris des expériences antérieures, et savait que la solitude spirituelle pouvait être dangereuse et que seules des personnes aguerries étaient capables de la supporter sur une longue période. Elle n’en restait pas moins symbole de perfection morale. Il fallait donc installer le reclus quelque part et assurer sa subsistance, ainsi que son encadrement. Un contrôle qui permettait surtout d’éviter la déviance ou l’hérésie…

Les réclusoirs

De nombreuses villes françaises avaient leur réclusoir. Bordeaux, Lille, Montpellier, Clermont… Et bien évidemment Paris. Ceux-ci étaient situés sur des points stratégiques de défense comme des ponts ou des portes d’enceinte militaires, les prières du reclus ayant vocation à sauver la ville des malheurs extérieurs. À Paris, ils étaient plutôt accolés à des églises ou des hôpitaux. Le plus connu se trouvait à l’intérieur du cimetière des Innocents, plus grands cimetière de Paris avant sa destruction en 1786 (vers les Halles).

Un réclusoir ne faisait généralement que quelques mètres carrés, et n’avait que deux ouvertures : l’une sur l’extérieur pour recevoir les aumônes, l’autre donnant dans l’église. Chaque réclusion faisait l’objet d’une cérémonie religieuse. Après avoir prononcé ses voeux, le reclus prenait place dans un espace clos et exigu qui était aussitôt muré.

Si les traces, encore une fois, sont rares, on suppose que l’espérance de vie des reclus était assez courte. Très peu étaient en effet assez solides pour résister aux hivers, au vent, à la faim et à l’isolement. Un cas exceptionnel pourtant est connu à Paris. Celui d’Alix de Burgotte, qui a demeuré 46 ans dans le réclusoir du cimetière des Innocents. Une longévité que l’on connait grâce à Louis XI, qui lui fit élever un superbe tombeau dans ce même cimetière pour honorer sa mémoire.

Cette mode des reclus disparut vers le 16e siècle, sans être plus capable d’en expliquer les raisons que celles de son avènement…

Une autre époque, serions-nous tentés de conclure.

Infos Utiles

Les reclus, des individus qui décidaient de finir leur vie dans une minuscule cellule, et subsistaient grâce à l'aumône en échange de leurs prières.

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